Commémoration en mémoire des 3063 patients de l’hôpital psychiatrique décédés entre 1940 et 1944 et inhumés au cimetière communal, vendredi 7 avril 2017 – Ville de Clermont (Oise) – Site Officiel

Commémoration en mémoire des 3063 patients de l’hôpital psychiatrique décédés entre 1940 et 1944 et inhumés au cimetière communal, vendredi 7 avril 2017

Commémoration en mémoire des 3063 patients de l’hôpital psychiatrique décédés entre 1940 et 1944 et inhumés au cimetière communal, le vendredi 7 avril 2017, 18h, stèle du cimetière de Clermont.

Discours prononcé par M. Lionel Ollivier, Maire de Clermont, Président de la Communauté de Communes du Clermontois

 

CEREMONIE DEVANT LA STELE GUIDI
A LA MEMOIRE DES PATIENTS DE L’HOPITAL PSYCHIATRIQUE INTERDEPARTEMENTAL DE CLERMONT
DECEDES DES SUITES DE PRIVATION DURANT L’OCCUPATION

 

Madame la Sous-Préfète,
Mesdames, Messieurs les élus,
Monsieur le directeur du CHI,
Mesdames, Messieurs les Porte-drapeaux des Associations Patriotiques,
Mesdames, Messieurs,

Le 10 décembre dernier, Monsieur le Président de la République François Hollande honorait au Palais de Chaillot à Paris, le souvenir des milliers de personnes décédées, en France, sous l’Occupation, par abandon, dénutrition, absence de soin, dans les lieux qui les accueillaient, asiles, hôpitaux ou hospices.

Cette date et ce lieu avaient été symboliquement choisis car c’est là, 68 ans plus tôt qu’avait été adoptée la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Ce 10 décembre dernier donc, une inscription gravée sur le parvis des Droits de l’Homme place du Trocadéro était dévoilée :

Ici, le 10 décembre 2016, la Nation a rendu hommage aux 300 000 victimes civiles de la seconde guerre mondiale en France. 45 000 d’entre elles, fragilisées par la maladie mentale ou le handicap et gravement négligées, sont mortes de dénutrition dans les établissements qui les accueillaient. Leur mémoire nous appelle à construire une société toujours plus respectueuse des droits humains, qui veille fraternellement sur chacun des siens.

Dans le discours qu’a prononcé ce jour-là le Président de la République, la démarche clermontoise, initiée en 1999 par André Vantomme, alors maire de la commune, a été rappelée.

C’est effectivement cette année-là que la municipalité de Clermont avait décidé d’ériger un monument à la mémoire des patients de l’hôpital psychiatrique interdépartemental décédés durant la Seconde Guerre mondiale.

Cette décision n’avait pas été facile à prendre. A l’époque, subsistaient encore des témoins directs de ce drame encore tu et l’établissement  psychiatrique actuel, héritier de cette sinistre histoire, craignait d’alourdir l’image asilaire dont on l’affublait encore parfois à l’extérieur.

Plusieurs syndicats du personnel hospitalier avaient soutenu cette démarche originale, visant les manquements d’une administration, lorsque celle-ci ne concevait pas l’activité hospitalière autour des besoins du patient mais à travers une logique comptable.

Dix-huit ans après cette décision hautement symbolique, historique et politique également, au sens noble du terme, nous sommes toujours la seule commune de France à avoir pris cette initiative, alors même que ce drame humain a touché la plupart des hôpitaux psychiatriques français.

Il n’était que temps que la Nation reconnaisse cette tragédie et  qu’elle réfléchisse à la place du handicap et de la fragilité dans notre société contemporaine.

Ce que l’on appellera plus tard une « hécatombe silencieuse » ne s’est pas totalement produit à l’insu de la société, même si son ampleur n’a pas été comprise à l’époque ni même dévoilée dans les années qui ont suivi.

Ces milliers de morts supplémentaires, il avait fallu leur trouver une place, quand bien souvent les familles refusaient de les prendre en charge. Le 4 mars 1942, le conseil municipal de Clermont avait dû délibérer, pour acheter de nouveaux terrains avoisinants.

C’est ici, autour de nous, au lieu même de notre rassemblement qu’a été réalisé à l’époque cet agrandissement, « indispensable et urgent » selon les termes de l’époque.

Aucune allusion relative à l’hôpital psychiatrique n’était d’ailleurs  rapportée dans les comptes-rendus du conseil municipal. Seuls deux chiffres étaient  donnés comme justificatif aux autorités préfectorales, pour obtenir une réponse positive et rapide au vœu du conseil municipal : on avait dénombré dans le cimetière communal, en 1939, 238 inhumations, tandis qu’en 1941, elles s’étaient élevées à 995 !!

Hospitalisés sur la portion centrale de Clermont et les annexes de Fitz-James et Erquery, les malades décédés étaient pour une écrasante majorité enterrés aux bons soins de l’hôpital. C’est à la morgue de Clermont qu’ils étaient amenés presque quotidiennement puis inhumés, ici, dans ce cimetière. Les allers-retours fréquents du corbillard hippomobile ne pouvait pas être ignorés de la population.

L’ écrivain et éditeur François Maspéro, en vacances chez son oncle, médecin de l’établissement, fut témoin de ces sinistres transports, comme il le rapportera plus tard dans l’un de ses ouvrages autobiographiques.

Cette tragédie, ce n’est donc pas l’établissement hospitalier qui doit en supporter l’héritage mais bien la société toute entière. Il serait vain de rechercher les responsables, tant des décisions, individuelles ou administratives, ont contribué  à l’ampleur de l’hécatombe.

Avant même la période de la guerre, les malades mentaux ont un statut social très inférieur aux autres humains. On ne parle d’hôpitaux psychiatriques que depuis le milieu des années 30, remplaçant dans le vocabulaire administratif le mot « asile » qui devenait si glaçant, alors que son origine est tellement porteuse de protection de l’individu. Demander asile, recevoir asile, prenait tout son sens lorsqu’on se souvient qu’à la fin du XVIIIe siècle, on trouvait les fous enchaînés dans des prisons. L’asile avait été conçu pour leur ôter les chaînes et leur reconnaître une possibilité de guérison. Tout au long d’une XIXe siècle va se développer une nouvelle branche de la médecine : celle de l’esprit que l’on va appeler « psychiatrie ». Et Clermont dès cette période y prend une large place.

Dans l’entre-deux guerres et alors que la crise économique traverse brutalement la société occidentale, les théories eugénistes connaissent leur essor. L’amélioration de l’être humain par une sélection génétique n’est pas qu’une obsession des milieux politiques extrêmes. Dans la bonne société aussi,  on entend que les dépenses publiques doivent viser en premier lieu les populations utiles à la société…

Ce contexte particulier rend par exemple possible la prise de parole, dans une instance administrative de l’hôpital psychiatrique de Clermont, d’un conseiller général, de surcroît médecin, s’offusquant qu’on puisse décider de faire des investissements dans un bâtiment pour « enfants anormaux », enfants qui resteront inutiles à la société.

La dévalorisation sociale du malade mental va être institutionnalisée par le régime du Maréchal Pétain. En effet, les internés des hôpitaux psychiatriques auront, dans le cadre de la politique de rationnement de la population, une part moins élevée que les malades des hôpitaux généraux, lesquels reçoivent une part inférieure à l’ensemble de la population.

Si l’on peut imaginer que la solidarité familiale puisse être déployée auprès des malades des hôpitaux généraux, il n’en est pas de même dans les hôpitaux psychiatriques qui regroupent des populations venues parfois de loin. Et c’est ainsi dans notre hôpital clermontois où la majeure partie des patients viennent de la Région Parisienne.

Le contexte de l’Occupation pour la population civile, c’est aussi l’obsession du ravitaillement. On ne peut comprendre cette période si particulière de notre histoire sans d’abord prendre en compte cette réalité très terre à terre : les Français ont faim sous l’Occupation. Cette nécessité de trouver de la nourriture par tous les moyens au-delà des portions limitées par la politique de ravitaillement explique aussi une part du destin des malades mentaux pendant la guerre.

Car c’est dans ce contexte difficile, oppressant pour tous, que l’hôpital doit fonctionner malgré tout. Rien n’y est simple, entre les 4 000 cartes individuelles d’alimentation dont la gestion est un casse-tête, les procédures de marchés publics qui n’intéressent plus les fournisseurs, les prélèvements pour ne pas dire les vols qui ont toujours existé, mais sont exacerbés dans cette période sombre.

Par ailleurs, les hôpitaux de province comme le nôtre, qui disposent d’une importante ferme, voient leurs maigres récoltes dirigées par l’administration de Vichy vers le ravitaillement général.

Il en va de l’alimentation comme de tout ce qui est nécessaire à la survie : charbon, couverture, savon, vêtements, produits de soin… tout manque.

A cette situation sanitaire catastrophique, s’ajoute aussi, à Clermont, la réquisition des bâtiments. Tout au long de l’Occupation, on accueille de nombreux patients de divers horizons : de l’hôpital général local évacué, mais aussi des internés d’autres établissements situés dans des zones bombardées par les Alliés. Ainsi sont recueillis, en 1942, 189 vieillards d’un hospice de la Somme, en 1943 près d’un millier de malades de l’hôpital psychiatrique de Sotteville-les-Rouen et en 1944, 500 internés de celui de la Roche-sur-Yon.

De surcroît, régulièrement, des bâtiments entiers sont réquisitionnés par l’armée d’Occupation.

Moins de bâtiments, plus d’internés, tout cela n’est possible que par la surmortalité qui frappe durement les malades.

Les rapports rédigés à la Libération sont éloquents : la production de la ferme a chuté et est dirigée vers le ravitaillement général ; l’hygiène ne peut plus être assurée à cause du manque de linge et de savon ; l’eau gèle l’hiver à l’intérieur des bâtiments ; les malades qui peuvent encore bénéficier d’une promenade mangent des racines ; on chasse même les hérissons pour les dévorer.

Dans l’établissement, avant la guerre, le taux de mortalité est stable, entre 5  et 6 %. Dès 1940 il double, et atteint en 1941 26,58 % : ce qui signifie qu’un quart des hospitalisés meurent dans l’année. Les années suivantes le taux  est  en décrue : le gouvernement a relevé la ration des malades psychiatriques. Mais le taux de mortalité reste toujours très élevé : 19,87 % en 1942, 15,03 % en 1943 et 19,35 % en 1944.

Nous avons tenu à Clermont à conserver deux nombres en mémoire, nombres qui en eux-mêmes sont discutables scientifiquement mais qui, plus qu’un long discours, montrent l’étendue de la tragédie. Il s’agit du nombre de décès enregistrés dans l’établissement de 1940 à 1944, soit 3535 morts, et du nombre de personnes parmi celles-ci, inhumées dans ce cimetière durant la même  période : 3063.

Le désastre sera total derrière les hauts murs de l’hôpital et la taille de notre cimetière, aujourd’hui trop grand alors même que la population communale a plus que doublé, reste le grand témoin de cette hécatombe longtemps restée silencieuse.

Mesdames et Messieurs, cette histoire doit rester dans nos mémoires, elle doit être analysée, sans rancœur, sans dogmatisme. Elle doit aussi nous appeler à la vigilance contemporaine face aux plus fragiles, aux plus démunis.

C’est dans cet esprit, à la fois mémoriel et à la fois d’observation des réalités actuelles qu’un groupe de travail s’est mis en place l’an dernier sur notre territoire.

Ayant répondu à l’appel d’une association chargée par la Présidence de la République de rendre une étude de préfiguration d’un centre de mémoire et de ressources sur cette question, ce groupe de travail a pris conscience du nombre d’acteurs présents sur le territoire : hôpitaux bien sûr, mais aussi associations, implication de l’Education Nationale, organisation des familles de malades…

Si le projet remis ce même 10 décembre 2016 à Monsieur François Hollande a peu de chance d’aboutir, est ressorti, sur le Clermontois, le souhait de se regrouper, de mieux mettre en valeur ce qui se fait ici, de s’organiser pour que des actions pédagogiques et culturelles soient entreprises auprès du public, de soutenir des recherches pour mieux comprendre les prises en charge passées et en conserver mémoire.

Ce groupe de travail réfléchit actuellement à créer une structure porteuse, soutenue par le Département et le Clermontois.

Mémoire et compréhension du présent étaient déjà les deux piliers qui avaient permis la construction de notre mémorial local.

C’est cette même philosophie qui se poursuit à travers ce projet de centre de mémoire et de recherches.

Mesdames et Messieurs, veuillez respecter une minute de silence, à la mémoire des patients internés à l’hôpital psychiatrique de notre commune et de ses annexes, victimes des conditions atroces d’internement qu’ils ont subies durant l’Occupation, à l’image de l’ensemble des patients des hôpitaux psychiatriques sur le territoire français.

Le vendredi 7 avril 2017